Beaufort de Ron LESHEM

Publié le par Eileen E.

Rappel des faits :
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On suit durant un an le quotidien d'une section de jeunes recrues israéliennes dans la citadelle du Beaufort pendant la "sale guerre du Liban" (1982 - 2000).
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L'accusé a-t-il quelque chose à ajouter pour sa défense ?
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" Quand Ochri et moi on a terminé nos classes, le commandant de compagnie nous a expliqué que le meilleur kif, pendant notre cantonnement au Beaufort, serait de savoir que, peut-être, cette nuit, ou demain dans la nuit, maximum après-demain, tu vas liquider ceux qui ont frappé ton pote, que tu vas écrabouiller la cellule même qui a fait ça. C'était notre plus grand rêve, une espèce de fantasme, qui commence par un accrochage, de ceux qu'on opère à la perfection, le meilleur que j'ai jamais connu : tu repères un mouvement suspect de loin, ça se rapproche, à soixante-dix mètres, tout le corps de ton ennemi te fait face, mais il ne s'aperçoit pas de ta présence, tu lui balances quelques bons pruneaux, puis tu te lances à l'assaut, te rapproches à bout portant, lui colles le coup de grâce, en pleine poire. Puis tu déplies la civière de Riber et rapportes le cadavre au fortin. Et quand il gît, mort, au point de ramassage des blessés, ce terroriste puant, ce bloc de merde, à l'endroit précis où on a étendu nos blessé et nos morts, aux moments les plus durs, tu le drapes dans la bannière de la compagnie, le redresses, lui balances un glaviot géant sur la gueule et te fais photographier enlacé avec lui. Tu peux même poser le béret sur son cadavre et adresser un sourire épanoui à la caméra. Encore une série de photos, avec toute la section tout autour, et tu annonces solennellement une perm'. Au minimum une perm', c'est la règle. Et moi, je m'imaginais cet instant, parce que l'imagination est un moyen vital de surmonter le service au Liban. Je m'attarde sur chaque seconde de mon récit. Et pas seulement moi, mais tous, on participe à cette ambiance particulière, à tout ce folklore autour de l'expérience de la vengeance. C'est ce qui nous nourrit, c'est notre cordon ombilical. "
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Verdict :
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C'est un récit poignant parce qu'il nous amène au plus proche de ces très jeunes soldats (ils ont à peine atteint la vingtaine pour la plupart). Erez, officier de cette section et narrateur, utilise un langage cru et un registre familier, voire vulgaire, qui peut dérouter dans les premières pages mais qui a le mérite de dépeindre des personnages sans artifice et donc très attachants dès leur première apparition : le discret mais présent Ochri, le flambeur Zitlawi, le téméraire et loyal Riber, etc. On apprend à vibrer avec eux dans leur routine, leurs doutes et leur peur.
§§§Beaufort
n'est ni un pamphlet anti-guerre ni une plaidoirie patriotique. Il n'y a véritablement pas de message, ni de complaisance avec les combattants : il n'y a somme que peu de scènes de combat ou de mission, et l'ennemi (les terroristes du Hezbollah) est invisible. Il n'y a pas non plus d'explication historique ou géopolitique. Cet étrange huis-clos, souvent oppressant, tente seulement de raconter le vécu de ces jeunes soldats et leur preception (soulagement, déception, apathie, colère) face à l'absurdité de leur position et de la déroute qui s'en est suivie.

Publié dans Sur les rayonnages

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